Essayer n’est pas changer

François Laugier
6 min readAug 18, 2023

Fais le ou ne le fais pas. Il n’y a pas d’essai.
Maître Yoda

Récemment, j’ai eu une conversation enrichissante avec un Scrum Master qui partageait ses expériences contextuelles. Chacune de ces expériences aurait pu donner lieu à un article, mais commençons par celle-ci.

Le Scrum Master m’a raconté comment, pour gérer la dette technique accumulée et éviter que les bogues ne paralysent les livraisons, ils ont adopté la technique du “bugman” — une approche où une personne est désignée chaque semaine pour résoudre rapidement les bogues. Cette méthode s’est avérée extrêmement efficace, non seulement pour alléger la charge du backlog, mais aussi pour résoudre d’autres problèmes. Cependant, je reviendrai plus tard pour explorer en détail cette proposition. Malheureusement, l’expérience du Scrum Master a été de courte durée, car ils ont constaté que les mêmes personnes étaient toujours désignées pour ce rôle, ce qui devenait problématique lorsqu’elles étaient absentes. En fin de compte, ils ont décidé d’abandonner cette approche.

As-tu remarqué à quel point il est courant de mettre en place une nouveauté et de revenir en arrière dès que cela ne fonctionne pas parfaitement, optant ainsi pour l’ancienne méthode ?

Le piège de la routine : retourner vers le connu

La tendance à revenir en arrière peut s’expliquer par divers facteurs psychologiques et organisationnels. L’une des raisons principales est la résistance au changement. Face à l’inconnu et à la modification des habitudes, les individus et les équipes peuvent ressentir de l’appréhension. Lorsque les résultats escomptés tardent à se manifester, l’attrait du retour au familier et au confort est souvent irrésistible.

Le cycle d’adoption du changement : Le creux de la désillusion

illustration (source Gartner) invitant à calmer ses attentes et construire en confiance la consolidation

Les changements ne s’installent pas instantanément ; ils nécessitent du temps pour produire des résultats tangibles. Cette phase de transition, parfois appelée le “creux de la désillusion”, est une étape du cycle d’adoption du changement. Pendant cette période, les avantages ne sont pas encore évidents, ce qui peut conduire certaines personnes à croire que le changement ne fonctionne pas et à abandonner prématurément.

La courbe du deuil en contexte de changement. Probablement bien applicable egalement :) @lina Alami http://comment-innover.fr/2018/03/18/courbe-innovation/

Anticiper les défis et les solutions de rechange

Pour assurer le succès d’une nouvelle approche, il est essentiel d’anticiper les obstacles potentiels. Dans le cas du Scrum Master, envisager les défis de la méthode du “bugman” et prévoir des alternatives aurait pu contribuer à surmonter les problèmes liés aux absences et aux charges de travail excessives. Une transition réussie repose sur un engagement continu, une réflexion itérative et une adaptation en fonction des retours d’expérience.

Réorienter la perception des obstacles

Rencontrer un obstacle ne signifie pas nécessairement faire marche arrière. Au contraire, c’est une opportunité de trouver des solutions pour le contourner. Parfois, la quête du confort d’un processus connu l’emporte sur l’objectif initial du changement. Dans le cas du Scrum Master, plutôt que de réintégrer un processus inefficace, il aurait été plus constructif de chercher à inclure tous les membres de l’équipe dans le rôle, conformément à la pratique.

En fait d’une façon générale, face à une difficulté pour atteindre un objectif, la bonne posture n’est pas de reculer mais de regarder comment contourner l’obstacle 😎

Pour ne pas échouer

Pour ne pas être confronté à l’échec, une bonne pratique est de ne plus faire de tentatives, mais des expérimentations. Un essai amène un résultat, que le soit le succès ou l’échec, et dis toi bien que changer c’est très probablement rencontrer des difficultés. Si la culture de l’échec n’existe pas dans ton contexte, il vaut mieux t’enlever du stress inutile. Tu expérimentes! Une expérimentation amène des constats, certains souhaitables et d’autres non, mais c’est surtout un apprentissage, et sur la base de cet apprentissage, on décide de la prochaine phase de l’expérimentation.

La pratique du bugman/pompier

Cette pratique consiste à décider chaque semaine d’une personne de l’équipe de gérer les inattendus d’une façon générale, dans notre cas, les bugs remontés pendant que l’équipe doit se concentrer sur l’itération en cours. Elle est régie par des règles simples qui ont un grand impact.

  • Le pompier change chaque semaine
  • Tout le monde y passe, même (surtout) les juniors
  • Parce qu’un bug est inacceptable, le pompier a pour responsabilité de résoudre le bug le plus vite possible (quelques heures, pas des semaines), pour cela, il abandonne sa tâche immédiatement pour gérer le problème.
  • Parce que le pompier a de grandes responsabilités, il a aussi un grand pouvoir, celui d’aller chercher n’importe qui dans l’équipe pour l’aider à résoudre le problème le plus rapidement possible. Il peut aussi solliciter plusieurs personnes, toute l’équipe, alerter son manager pour rallier d’autres équipes… Un grand pouvoir pour une grande responsabilité

Il y a plusieurs intérêts à cette pratique :

  • On ne laisse pas les bugs de côté parce qu’on a du boulot à livrer. Pour le dire autrement, on augmente pas la dette technique.
  • Qu’un junior en appelle à un expert de l’équipe pour solutionner le problème, c’est l’opportunité d’apprendre en situation réelle et de visiter des fois des parties anciennes du produit.
  • Être le pompier c’est une disponibilité incertaine. Cela force dans la planification des tâches à prévoir le besoin de backup, et rien de mieux pour cela que le pair programming, encore une bonne pratique. Le pompier peut aussi être engagé à résoudre quelques bugs en attente dans le backlog de l’équipe. Ça aide à résorber les longues listes de bugs en souffrance et c’est moins gênant de laisser un bug pour en traiter un autre 😇
  • Chacun a son tour, on va assumer le manque de qualité dans la réalisation, qui a créé ce problème. C’est un bon exercice pour que toute l’équipe se mobilise dans l’augmentation de cette qualité.

Si tu ne connaissais pas cette pratique, je t’invite à l’expérimenter dans ton équipe. Si tu as des questions sur son implémentation ou des retours à partager, n’hésites pas à poser un commentaire, je me ferai une joie de te répondre.

Conclusion : Naviguer sur les eaux du changement

Accepter que le changement soit difficile est la première étape vers une transformation réussie. Les obstacles font partie intégrante du processus de changement, et plutôt que de reculer face à eux, adoptons une approche réfléchie et adaptative. La persévérance, la flexibilité et un engagement continu sont essentiels pour atteindre les objectifs de transformation. Rappelez vous pourquoi vous avez choisi de changer!

En somme, le changement requiert du temps, de la motivation, de la patience et une compréhension approfondie. Les difficultés ne sont pas des signes d’échec, mais des occasions d’apprendre et de s’améliorer. Gardons cette perspective à l’esprit, et nous pourrons surmonter les obstacles pour créer des pratiques plus efficaces et durables.

francois.laugier.me

Lectures

Autissier, D., Vandangeon-Derumez, I., & Vas, A. (2010). Conduite du changement : concepts clés. 50 ans de pratiques issues des travaux de 25 grands auteurs . Paris : Dunod.

Bamberg, S. (2013). Processes of change. Dans L. Steg, A. Van den Berg, & J. De Groot (dir), Environmental psychology. An introduction . (p. 268–279). Oxford : BPS Blackwell.

La théorie du champ de forces de Lewin https://www.graine-ara.org/sites/default/files/documents/Outils_acc_chgmt/05-theorie_champdeforces_lewin-VF.pdf

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François Laugier

Coach professionnel, Agiliste pragmatique, j’aime être le facilitateur de la mise en mouvement des personnes, équipes, organisations, vers leurs objectifs.