Le sprint 0 ou Comment ne rien changer

François Laugier
11 min readJul 20, 2021

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Il faut bien commencer quelque part…

En préambule, je poste cet article dans le but d’exprimer mon propre avis sur les pratiques de transformation de nos organisations quand il s’agit d’aller vers un mode plus agile. Mais au delà de ça, c’et surtout votre propre avis ou réaction à ce qui est écrit qui m’intéresse. Je vous invite alors à me faire vos retours, voir à entrer en contact pour un échange plus nourri :) Que vous soyez acteur de transformation, client en demande, ou simplement curieux je suis friand de vos remarques. Gardez vous du temps pour me faire ce cadeau en fin de lecture.

Un sprint 0 c’est une phase préparatoire pour commencer le projet dans les meilleures conditions et s’assurer que l’on commence avec les meilleures décisions.
Mais comment prendre les meilleures décisions au moment où l’on en sait le moins sur le vrai produit, la vraie équipe, les vraies interactions?

Commencer sur de bonnes bases, c’est créer la relation

Le développement de produit agile met l’accent sur la capacité de notre organisation à renforcer l’émergence du bon produit. En statuant dès le début sur des choix potentiellement stratégiques ou même fonctionnels, ergonomiques, on est en train de s’empêcher de mettre en place l’architecture dont on découvre avoir besoin quand on en a besoin. Quand la relation client-fournisseur vient contractualiser les engagements de chacun, c’est bien pour arriver à déterminer qui prendra la responsabilité de choix finalement pas si judicieux. Ce n’est pas une relation gagnant-gagnant à créer une produit exceptionnel, mais une relation de subsistance où chacun essaie d’en tirer profit, un jeu à somme nulle, où l’un gagnera ce que l’autre devra concéder. Le véritable problème que l’on essaie de résoudre est la confiance entre les partenaires, et il existe d’autres moyens que le contrat. Si vous faites un contrat de location de votre bien avec un inconnu, vous ne le ferez pas forcément avec un ami ou la famille, sauf à prendre le risque d’abimer la relation.

La culture agile invite également l’ensemble des parties prenantes à un engagement constant dans la réalisation du bon produit. Avec un sprint 0 et un énorme travail de définition, préparation, n’est-on pas à créer la documentation pour que les sachants, porteurs du savoirs, du réel pourquoi, puissent transmettre la responsabilité de sa création et se rendre ailleurs pour planifier les produits suivants? Cette chaîne de transmission (de commandement) a tout du waterfall non?

L’empirisme, pilier des approches agiles

En agile, on ne souhaite pas d’un sprint de préparation, qui n’a de sprint que le nom. On souhaite que le premier sprint crée immédiatement de la valeur, même si c’est aussi le sprint où l’on va créer l’équipe, l’environnement de travail, les premières définitions de notre produit… On produira peu évidemment, mais on aura aussi beaucoup d’enseignements sur la façon dont notre organisation (client inclus) est capable de commencer rapidement à produire de la valeur d’affaire, c’est la valeur de connaissance. Ainsi, chaque projet participe à l’amélioration des pratiques de l’organisation permettant, sans créer de nouveaux process, que les projets suivants profitent de ces évolutions… naturelles. Le sprint 0 montre tous les sujets sur lesquels l’entreprise doit agit pour devenir plus performante. Si il faut 3 semaines pour que tous les devs aient leur machine fonctionnelle, plutôt que d’accepter et de faire avec (typiquement un sprint 0 sans deadline mais plutôt une check-list pour passer le prochain jalon), comment faire en sorte que les devs puissent produire tout de même en attendant, ou comment pourrait on rendre plus immédiat la fourniture de ce matériel?
Pourquoi c’est important de ne pas accepter? Parce que c’est justement tous ces petits cailloux qui empêchent régulièrement, systématiquement, nos équipes de produire efficacement et qui doivent être éliminés. Le produit créé par une organisation ne peut être au mieux qu’à l’image de son propre fonctionnement.

Par ailleurs, si le réel possesseur des besoins utilisateurs ne peut être présent qu’au début et à la fin du projet, mais pas tout au long de la création de son produit, à chacune de ses étapes, à chaque fois que nécessaire, quel est son réel intérêt pour le produit, et à nous donner les moyens de réaliser le vrai bon produit? La passation de responsabilité par la contractualisation est à minima inefficace à générer un produit exceptionnel, le plus souvent injuste pour le prestataire à qui l’on demande de créer le meilleur produit possible pour le métier du client, alors que … c’est le métier du client.
Alors pourquoi un sprint 0 ou quel que soit son nom?

Changer c’est angoissant

Je constate que l’on va trop souvent apporter la mauvaise réponse au faux problème. Appliquer ce que l’on sait déjà faire, alors que c’est typiquement ce que l’on a mis en œuvre qui crée la situation problématique. En systémique on dira “Toujours plus de ce qui ne marche pas pour toujours plus du même résultat”.

Prendre le recul nécessaire à la prise d’une décision plus innovante, et donc jamais envisagée et appliquée présente une part de risque. C’est tout l’enjeu de savoir gérer aussi ce risque, pour qu’il subsiste dans sa part d’inconnue, mais soit contrôlé dans les effet négatifs.

J’aime à croire que nos problèmes sont vécus comme tels parce qu’ils sont simplement confrontés à la réalité de notre environnement. Ils viennent éclairer une certaine réalité, difficile à prévoir dans son entièreté, et nécessairement mise au jour, en partie seulement, par l’impact de notre choix. Un comportement qui a montré ses limites et surtout son inefficacité, est de générer des changements de type I. Le changement de type I est ce qui permet de maintenir l’équilibre d’un système, ce qu’on appelle l’homéostasie.
J’ai installé une climatisation très performante chez moi l’année dernière. Je défini une température agréable pour ma maison du sud de la France, et le système aidé de son thermostat va pousser plus ou moins les machines pour que je n’ai ni trop chaud ni trop froid. J’ai une température stable chez moi en tout temps grâce au système que j’ai mis en place et je n’ai plus à me soucier des variations extérieures. Chez moi il fait toujours bon. Pour autant, je constate un problème de taille. En été et en hiver, j’ai une consommation électrique de dingue et la facture qui va avec! Je peux alors appliquer à nouveau une solution technologique : des panneaux photovoltaïques! Etc, etc… chaque solution venant compléter ma panoplies d’usages domestiques. Pour autant, il existe aussi, un changement possible qui sera plus proche du changement de type II dans le sens où cela va changer mes habitudes. L’été je vais m’impliquer dans la régulation thermique de mon logement, notamment en ouvrant les fenêtres le soir, fermant les volets le jour. Résultat immédiat, cependant, c’est aussi un changement d’habitudes. Peu coûteux mais présent quand même. Je peux vivre cela comme une contrainte, et pester quand il m’arrive d’oublier et que la maison redevient un four. Changer ses habitudes n’est pas facile et il est rapide de s’y épuiser si j’oublie pourquoi je fais tout ça. Une maison agréable et des dépenses raisonnables. C’est l’objectif que je souhaite atteindre qui va m’aider jour après jour à intégrer mon nouveau mode de fonctionnement. Et le plaisir de constater le résultat n’en est que plus renforcé. Une autre solution envisageable pourrait être de revenir au troglodyte, aménager une grotte avec quelques puits de jour… Pourquoi pas? :D Bon, on va dire que ce n’est pas nécessaire pour le moment. Mais en lisant ceci, est-ce que la pensée « C’est ridicule » vous a traversée? Voilà typiquement un réflexe qui va bloquer toute possibilité d’innovation. Avec les « c’est dangereux » qui suivent la plupart du temps de toute innovation qui nous semble aujourd’hui « évidente » (Cf Idriss Aberkahn qui en parle très bien)
L’enjeu visé par une démarche visant toujours plus d’efficacité dans un environnement complexe et en constante évolution, n’est pas d’appliquer toujours plus d’outils pour maîtriser son environnement, mais bien de travailler à rendre ses aptitudes efficace à s’adapter à tous les changements de son environnement, d’en générer des opportunités, et dans un contexte concurrentiel, avant les autres. Un vrai changement, palpable, vécu, assumé, profitable.

Donc, pourquoi un sprint 0?

A mon sens pour aller en douceur vers un nouvel univers. C’est tout à fait louable. Tant que c’est réellement efficace. Sinon, pourquoi mettre autant d’énergie à ne pas changer? Je remarque que les véritables changements dans ma vie ont été plutôt radicaux. J’ai essayé maintes fois d’arrêter de fumer, par des méthodes les plus douces possibles. Résultat, je vapote comme une fumerolle des abysses… J’ai remarqué le même modèle dans les transformations des personnes ou des organisations. Tout ce qui permet de conserver les anciennes habitudes, ne font qu’ancrer ces habitudes que l’on dit pourtant vouloir changer. Pour vivre plus en cohérence, on peut être plus en compréhension des raisons qui nous poussent à changer, mais aussi, accepter que l’on ne veut pas changer parce que l’on accepte la situation. Je vapote et ça me va la plupart du temps, je gère mes projets en waterfall et je n’en ai pas honte. Et c’est OK! Agile n’est pas une dictature, c’est un choix. Par contre naviguer de façon indécise, se dire qu’on veut changer sans y croire vraiment, ni y mettre l’investissement nécessaire (et pas forcément douloureux quand ç’est animé d’une réelle volonté), est, au choix, futile, stressant, fatiguant, incohérent, dangereux… ou tout à la fois.

Alors par quoi on commence?

Un sprint de démarrage dans une organisation qui a choisi d’aller vers plus de valeur produite pour une meilleure rentabilité pour le client va alors viser :
• Produire rapidement de la valeur
• Confronter rapidement les idées à la réalité
• Accepter de s’être trompé pour faire rapidement de meilleurs choix
• Et appliquer ces points tant sur le produit, la relation de cocréation avec le client, l’équipe qui va réaliser ce produit, les process qu’on a décider de mettre n place pour faire fonctionner tout ça.
Ce que l’on fait finalement à chaque sprint. Seul l’objectif de sprint va évoluer au fil de la valeur livrée. Alors que reste-t-il encore comme raison pour ne pas démarrer le projet par un sprint qu’on pourrait appeler « 1 »?

Notre premier sprint aura pour objectif :
- Créer l’équipe
- Créer la vision
- Créer les premiers éléments du backlog
- Créer les premiers éléments d’infra

La longueur du premier sprint? Et pourquoi pas 1 semaine? Parce qu’on va avoir besoin de gérer beaucoup de risques dans ces premiers jours du projet, pour cela, on va avoir nécessité de pivoter souvent.
”Mais on ne peut pas tout mettre en place en 1 semaine!” Non, mais on va mettre l’essentiel (là encore notre MVP, organisationnel cette fois), et on continuera les sprint suivants à hauteur de nos besoins, dans le même temps où notre produit voit le jour dans ce qu’il a de plus de valeur. Notre organisation va évoluer tout au long de la vie du produit, tout comme le produit. Et quand l’équipe se considère dans un contexte propice à porter son focus sur le produit (généralement 2 à 3 sprints), elle peut décider d’aller vers des itérations de 2 semaines… La connaissance a augmenté, diminuant le risque, on a moins besoin de pivoter souvent. C’est la seule raison nécessaire à juger de la longueur du sprint, la gestion du risque.

Un projet c’est un budget

Je suis d’accord que sans argent posé sur la table, on ne va pas lancer les opérations. Pour autant, ce que je vois aussi est une habitude qui persiste de vouloir savoir a priori, ce que cela va coûter. Sauf que l’agilité vous invite à constamment parler en terme de valeur produite. Alors du coup? Quelle est la valeur attendue de notre produit? Est-ce un nouveau marché? Des économies d’échelles? Opérationnelles? … Avec ces appréciations de la valeur produite, on sait définir le budget maximum à ne pas dépasser pour garder un retour sur investissement positif.
« Et si mon client ne sait pas? »
Je me dis alors qu’il va aussi falloir l’accompagner dans la réalisation d’un business plan! Mais c’est rare, nos clients savent ce qu’ils veulent gagner, comme tout chef d’entreprise. Ils souhaitent par contre en limiter les coûts, et c’est bien naturel. Mais nous avons donc un premier objectif à ne pas dépasser défini par le R.O.I. souhaité.
« Mon client ne va pas me signer un chèque en blanc! »
Et il a bien raison! Il existe une multitude de façon d’accompagner son client dans une démarche plus propice à générer rapidement de la valeur (oui des fois j’essaie de ne pas juste mettre agile histoire de ne pas cacher ce dont je souhaite vraiment parler). J’aime bien proposer au client de mettre beaucoup moins d’argent sur la table que ce qu’il imaginait, histoire de couvrir les premières réalisations d’un produit pleinement fonctionnel, et donc de s’engager sur un périmètre beaucoup plus restreint, mais stratégiquement plus intéressant. Il aura ainsi l’occasion de constater a quel point son produit est viable, son prestataire performant. Avec cette approche, j’ai vu peu de clients ne pas se réengager pour continuer de développer leur produit. Et quand cela arrive, et bien, c’est parce que le client n’est pas disponible, le prestataire pas au point, mais aussi parce que le produit est suffisamment bon. Mais je dérive du sujet si détaille plus avant les nombreuses opportunités qui se présentent pour travailler en collaboration avec le client. Parlons en si vous avez envie d’en échanger! (J’aime bien mettre en opposition le client enchaîné ou le partenaire d’affaire motivé)

Un produit complet sinon ce n’est pas viable

Là encore, une croyance bien ancrée qui est de dire que le client attend l’intégralité de ce qu’il a demandé. Là encore, l’expérience vient démontrer que le client attend avant tout un produit FINI (pleinement fonctionnel) qu’il va rentabiliser rapidement et en volume. Livrer rapidement les briques fonctionnelles qui apportent le plus de valeur dès les premières itérations c’est celà qui va satisfaire le client. Oui, je parle du MVP. Ce MVP qui va se construire tout au long du projet, parce que tout au long du projet, on va réfléchir à ce qui est le plus important MAINTENANT. Ce MVP qui vient au sein de chaque brique fonctionnelle définir ce qui est vraiment important MAINTENANT. Et en livrant, à chaque itération, un produit qui ne contient que le MVP remis à jour en permanence, il ne reste plus naturellement que ce qui en a le moins, voire, pas du tout. Ce qu’il ne faut pas livrer. Et sur chaque projet de l’importance de considérer que quand c’est fini, le Backlog DOIT encore contenir des éléments. Ceux qui nous permettent de constater toute la valeur que l’on a livré à la place.
C’est peut être contre intuitif avant de l’avoir vécu. Ca parait peut être trop beau. Ca demande juste à être expérimenté :)

MA conclusion

En définitive, je pense que la seule façon/raison de pratiquer l’agilité et d’en recueillir l’ensemble des promesses, et d’être agile le plus possible, dès le début, même et surtout quand cela vient confronter nos croyances, parce que c’est le meilleur moyen d’éclairer nos faiblesses. L’agilité n’est pas un outil à produire mieux mais à montrer là où nous pouvons nous améliorer pour produire mieux.

Je dirai aussi que si vous pratiquez des sprints 0, il n’est pas temps de vous flageller, mais bien de vous féliciter d’avoir entamé un chemin qui attend votre pas suivant et que cet article a pour vocation d’en éclairer le prochain pas suivant ma propre expérience. Agile est bien un chemin et pas une destination.

J’ai vu beaucoup de façon de vendre l’agilité à nos clients, il n’y a pour autant qu’une seule approche dont j’ai vu les réels succès dans l’objectif de créer avec le client une relation fiable, stable et de confiance. C’est de la pratiquer, appliquer 4 valeurs et 12 principes simples, non pas pour faire mais pour se questionner sur comment on veut faire, nous amenant à être.

Et maintenant?

Les coachs sont là pour vous accompagner dans votre démarche, savent entendre vos enjeux, éclairer vos freins et vos croyances limitantes et vous aider à les remplacer en lien avec vos valeurs et vos objectifs. Si vous souhaitez entamer un parcours dans l’agilité, élaborez votre projet d’expérimentation avec nous.

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François Laugier

Coach professionnel, Agiliste pragmatique, j’aime être le facilitateur de la mise en mouvement des personnes, équipes, organisations, vers leurs objectifs.